Case n°6 du jeu de L. : le crapaud-fossile

Pour illustrer le texte proposé par Béranger Laymond sur la crapaudine, j’ai réalisé une sculpture représentant un crapaud fossilisé et emprisonné. La sculpture se compose d’un socle en chêne brut, teint au brou de noix, d’une roche et d’une structure métallique en zinc, dorée à la bombe.

J’avais une pierre collectée il y a quelque temps, qui me faisait penser à un animal fossilisé ou momifié. D’un certain point de vue, ses formes creuses sont à l’opposé des bosses du crapaud, mais ses angles, sa sécheresse terreuse, rappellent clairement le batracien. Ses nuances rougeâtres m’évoquent le sang induit par l’opération qui consiste à retirer la pierre crapaudine de la cervelle de l’animal.

J’avais déjà entendu parlé de la crapaudine dans un roman historique qui se passait au XVIème siècle. Je connaissais l’usage « cordial et alexitère » (c’est-à-dire qui stimule le fonctionnement du cœur et qui peut être employée pour prévenir les effets d’un venin, d’un poison) de cette pierre-amulette, portée parfois comme un bijou, en cabochon. Je savais aussi que cette pierre n’en est pas une. C’est une dent-fossile de poisson pétrifié. Ce qui veut dire que l’on parle d’une pierre extraite d’un animal vivant alors qu’en fait c’est un morceau d’animal mort… C’est typiquement le genre d’objet que l’on trouvait dans les cabinets de curiosités… Le genre d’objet a qui l’on attribue une origine, on lui invente un récit, on lui imagine une fonction et il devient ainsi un fétiche rituel, magique et mythologique.

La structure métallique de ma sculpture est utilisée normalement pour filtrer les descentes de gouttières et empêcher les feuilles et autres saletés de boucher les évacuations des eaux de pluie… Filtrer les saletés de l’eau… A votre avis, comment s’appelle cette grille ? Et oui, c’est une crapaudine !

On en revient donc à mes préoccupations récurrentes autour de la construction du récit, des jeux entre fiction(s) et réalité(s). Du rôle d’un objet, perçu ou pensé, et dans notre faculté à en jouer pour trouver notre propre place dans ce monde qui nous entoure. Justifier notre propre existence – en tant que sujet – en tentant de maîtriser ce que notre être appréhende. Maîtriser en le classifiant, en l’emprisonnant, en le divinisant ou encore en lui inventant une origine et une fin, une finalité.